Lorsque nous sortons, le fait de se saisir d’un parapluie relève d’une planification qui nécessite de s’extraire de la situation actuelle (il ne pleut pas …) pour se projeter dans le futur (… mais il risque de pleuvoir). Cela repose sur des compétences cognitives élaborées que, jusqu’à présent, seuls les humains et les grands singes possèdent. Mais une nouvelle étude montre que les corbeaux pourraient bien être capables de s’organiser en pensant à l’avenir. Comment les scientifiques sont-ils parvenus à cette découverte ?

Que ce soit pour préparer un dîner ou un plan marketing, la planification consiste (entre autres) à prévoir, anticiper les événements et à prendre des décisions en fonction de cette « analyse ». Si cette capacité est propre à l’humain, plusieurs études ont déjà prouvé que celle-ci était aussi effective chez les grands singes. Chez certains corvidés (dont les corbeaux font partie), la compétence à planifier au-delà du moment présent a déjà été mise en avant, mais elle était sujette à discussion, puisque confinée au « simple » fait de cacher des aliments pour plus tard.

Dans l’étude réalisée à l’Université de Lund (Suède), les chercheurs ont souhaité réellement explorer les compétences de planification et de flexibilité des corbeaux, grâce à un protocole qui reproduit quatre expériences réalisées avec des primates. Chacune d’elles comprenait deux conditions (une technique et une sociale) qui offrait la possibilité aux corbeaux de résoudre des tâches pour lesquelles ils n’ont pas de prédispositions comportementales : l’utilisation d’outil et l’échange avec les humains. Can Kabadayi et Mathias Osvath ont testé chez 5 corbeaux (dont 3 femelles) la prise de décision pour un événement futur (expérience 1 et 2), ainsi que la patience et la maitrise de soi (expérience 3 et 4).

Les scientifiques ont d’abord appris aux corbeaux à ouvrir une boîte (contenant une belle récompense culinaire) à l’aide d’un outil. Plus tard, les oiseaux ont eu le choix entre l’outil (la boîte était absente) et des distracteurs (non fonctionnels). Presque tous ont choisi le premier et ont pu l’utiliser 15 minutes plus tard. Lorsque le délai entre la sélection et l’utilisation a été volontairement allongé à 17 heures, c’est encore l’outil qui a été choisi dans 88.8 % des cas. Dans d’autres situations, les corbeaux ont eu la possibilité d’échanger un jeton contre de la nourriture. Les échanges ont été concluants à 77.6% (au bout d’un quart d’heure) et même à 95.8% (après un intervalle de 17 heures).

Plus difficile maintenant, que s’est-il passé lorsque les corvidés ont eu le choix entre l’outil, le jeton de troc, les distracteurs et une récompense immédiate ? Les sujets ont sélectionné l’outil en moyenne dans 73.8% des essais et le jeton dans 73.2 % des cas. C’est peu dire que le corbeau peut donc faire preuve de maitrise de soi ! Selon Mathias Osvath, ces résultats suggèrent « des capacités cognitives travaillant de concert, telles que les compétences inhibitrices et les différentes formes de mémoire ». Les chercheurs ont même remarqué que comme les humains, la sélection de l’outil ou du jeton se fait en fonction de l’opportunité de pouvoir l’utiliser assez rapidement. Ce serait là un comportement analogue aux humains, avec ce mécanisme psychologique bien connu, que plus elle se fait attendre, plus la récompense perd de son intérêt.

Pour conclure, cette étude tend à démontrer que les corbeaux ont la capacité de planifier, de prendre des décisions en dehors de leurs contextes présents. Sur ce point, ils sont à égalité avec les grands singes. Dans les cas de sélection d’un outil et de la maitrise de soi, ces oiseaux sont au moins aussi compétents qu’eux et dans les cas de troc, ils surpassent même les orangs-outans, les bonobos et les chimpanzés.