Le Billet du Neurologue, Dr Bernard CROISILE
En Arles, le 21 février 1875 naissait Jeanne Calment qui demeure encore à ce jour la doyenne de l’Humanité puisque personne n’a dépassé ses 122 années de vie. Selon l’INSEE, au 1er janvier 2016, la France comportait 21 000 centenaires alors qu’ils étaient un millier en 1960-1970 et 6 000 dans les années 1990. Cinq centenaires sur six sont des femmes et les « super-centenaires » de 110 ans ou plus, ne sont quasiment que des femmes.

Et ça va continuer !
Si la tendance à la baisse de la mortalité, observée ces vingt dernières années se prolonge, les centenaires français de 2070 seraient déjà nés, il s’agirait de personnes âgées aujourd’hui de 46 à 52 ans, et leur nombre en 2070 sera de 270 000 centenaires. A moins que… L’INSEE a calculé deux scénarios selon que l’on observe un accroissement ou un ralentissement de la durée de la vie. Dans le scénario optimiste, la poursuite des progrès médicaux et la maîtrise de nos comportements délétères (alcool, tabac, obésité…) verraient vivre 543 000 centenaires en 2070. En revanche, dans un scénario plus pessimiste, nos modes de vie (accroissement de l’obésité, conséquences de la pollution aérienne et alimentaire…) freineraient l’espérance de vie pour ne laisser apparaître que 158 000 centenaires

Pourquoi si longtemps ?
La Fondation IPSEN s’était penchée en 1994 sur le secret des centenaires, non pas le secret biologique qui est loin d’être résolu, mais les caractéristiques psychologiques qui auraient pu favoriser une telle longévité : un peu d’égoïsme, pour résister aux coups du sort infligés par la disparition progressive de leurs êtres chers, et beaucoup de curiosité pour stimuler leur cerveau.
Sans négliger l’impact majeur du psychisme et de la cognition, il est incontestable que le secret de cette fontaine de Jouvence réside dans la biologie et ses interactions avec l’environnement. Manger sainement, pratiquer régulièrement une activité physique, maîtriser ses facteurs de risques cardio-vasculaires sont un préalable indispensable au bien vieillir. En sachant que rien n’est univoque puisque l’étude d’une région montagneuse de Sardaigne, l’Ogliastra, réputée pour son nombre élevé de centenaires, a montré que si ses habitants cultivent leur potager, ont une alimentation saine, et grimpent les rues escarpées des villages, en revanche ils préfèrent très nettement la viande et la charcuterie aux poissons.
Les Very Old-seniors, comme disent les anglo-saxons, ont échappé de façon exceptionnelle à nombre de maladies inévitables du vieillissement, telles que les cancers, les accidents cardio-vasculaires, la maladie d’Alzheimer… Existe-t-il des facteurs biologiques qui protègent ou retardent l’arrivée des maladies liées à l’âge, ou bien des gènes qui rallongent la vie ?
Plusieurs hypothèses biologiques ont été avancées. Cela va d’un taux étonnamment élevé de « mauvais cholestérol » à un groupe de gènes présents sur le chromosome 4. En 2010, des chercheurs de Boston, avaient identifié un ensemble de gènes favorables à la non-survenue des maladies liées au vieillissement. Différentes combinaisons impliquant 150 SNP (polymorphisme d'un seul nucléotide, exprimant des variations génétiques) coopéreraient pour étayer la longévité, en expliquant 77% des chances d’être centenaire. Si une exceptionnelle longévité résulterait d’un génome comprenant un nombre important de bons gènes, le but des chercheurs n’est pas de greffer le gène de l’espérance de vie, mais plutôt de comprendre ce qui permet un vieillissement réussi.

Jeanne Calment, que du bon sens et de l’humour !
Je déplore souvent qu’il n’existe pas de chaire universitaire du « bon sens », les universités sachant davantage enseigner des savoirs que dispenser la maîtrise du bon sens. Or, la lecture du livre de Michel Allard, Victor Lèbre et Jean-Marie Robine relève chez Jeanne Calment un bon sens pratique et des traits fort drôles dont voici quelques échantillons :
- « Le bon Dieu a dû m’oublier. »
- « Il n’y a pas d’épreuve terrible : il suffit chaque fois de trouver une solution. »
- « J’ai des jambes de fer, mais pour tout vous dire, ça commence à rouiller et à gondoler un peu. »
- J’ai promis que j’irai jusqu’à 120 ans ; je ferai un effort.
Elle savait aussi répondre avec beaucoup de talent aux questions parfois simplettes :
- Comment voyez-vous votre avenir ? : « Court, très court. »
- À quelqu’un qui lui disait : « Et peut-être… à l’année prochaine », elle répondit : « Pourquoi pas ! Vous ne m’avez pas l’air en si mauvaise santé. »
- « Vous vivrez bien jusqu’à 120 ans ! » : « Pourquoi être si pessimiste ! »
- À son médecin qui s’inquiétait de la fatigue que risquait de provoquer une nouvelle rencontre avec la presse : « Ne vous en faites pas, je sais tellement ce qui leur fait plaisir. »

« Mais aujourd’hui, c’est toujours de mon temps »
Telle fût la réponse de Jeanne Calment à une question qui commençait par : « De votre temps… » Et en effet, quelle règle idiote ferait qu’il existe un temps pour exister, et que ce temps serait forcément « jeune ». Les centenaires nous invitent à une saine réflexion sur ce qu’est le « moment » de notre vie. Même si notre identité repose sur la somme de nos souvenirs (vécus autrefois) et de nos savoirs (acquis dans le passé), nous vivons l’instant, existons au présent et envisageons l’avenir. Mêmes les centenaires ont un futur… et un avenir !

Pour en savoir plus :
Michel Allard, Victor Lèbre, Jean-Marie Robine. Les 120 ans de Jeanne Calment, doyenne de l’humanité. Le Cherche midi éditeur, 1994.
Michel Allard. A la recherche du secret des centenaires. Le Cherche midi éditeur, 1994.
Bernard Croisile. Tout sur la mémoire. Éditions Odile Jacob (2009).
Bernard Croisile. Alzheimer : que savoir, que craindre, qu’espérer ? Éditions Odile Jacob (2014).