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Des savoirs historiques aux Fake News

Le Billet du Neurologue, Dr Bernard CROISILE, Juin 2019
Le site d’Histoire de la Fondation Napoléon a publié un très intéressant article de François Houdecek (18 avril 2019) intitulé « C’était mieux avant ? Les connaissances historiques des conscrits de 1870 » rapportant les résultats d’une enquête réalisée sur les connaissances historiques de 135 conscrits des classes 1903 à 1906. Les réponses sont édifiantes !
Jeanne d’Arc : « C’est une reine de France brûlée par les Prussiens en 1870 » ; « Napoléon a été fait prisonnier par les Anglais au pont de Montereau » ; Austerlitz « fut un ambassadeur » ; Victor Hugo « inventa le vaccinage » ; « La Révolution a eu lieu à cause de la mort de Louis XIV » ; Gambetta « fut un homme de lettres » ; Marceau « un ancien dessinateur » ; Bayard « un grand marin » ; Napoléon « a fait les tribunaux et civilisé le peuple ; il est mort emprisonné après avoir été emmené à Clermont-Ferrand. » Édifiantes certes, mais pas plus que les perles publiées quelques jours après le Baccalauréat, et je serais d’ailleurs curieux de connaître les réponses de nos bacheliers actuels aux mêmes questions.
Cet article m’a fait réfléchir aux Fake news qui envahissent le champ médiatique, culturel, politique… Avec une jolie naïveté, nos sociétés modernes semblent découvrir le mensonge, volontaire ou pas. A mon sens, on devrait distinguer deux types de Fake news, celles qui relèvent du mensonge volontaire, souvent influencé par une pensée culturelle formatée par la politique, l’écologie ou la religion, et celles liées à l’ignorance (une sorte de mensonge par omission). Comment expliquer cette dernière situation ?

Mensonge par ignorance
La facilité et la rapidité d’accès à une masse colossale de connaissances dans tous les domaines devraient nous éviter de raconter n’importe quoi puisque tout est « trouvable ». En dépit ou plutôt grâce aux autoroutes de l’information, n’importe quoi circule. L’ignorance ne date pas d’aujourd’hui, l’affirmation péremptoire des incultes en est le corollaire habituel. Par une déviation psychologique compréhensible, ceux qui ne savent pas tentent de montrer qu’ils savent, ils donnent leur opinion sans se renseigner, et diffusent des informations erronées sans la moindre humilité.

Et la Bérézina ?
Lors de mon billet d’août 2017, j’ai déjà évoqué cette situation des faux savoirs influencés par des idées préconçues qui nous imposent des connaissances inexactes. Une année, je m’étais livré à une petite expérience auprès des étudiants de l’Université Tous Âges de Lyon. Je leur avais demandé de répondre à une série de questions historiques. Sur deux cents personnes françaises âgées de 20 à 84 ans, 70% étaient persuadées que les Russes avaient gagné la bataille de la Bérézina alors que c’est bien sûr Napoléon 1er puisqu’il a réussi à faire passer ses troupes ; 98% croyaient qu’Abraham Lincoln était démocrate alors qu’il était républicain ; enfin, 80% ont répondu que le kilt datait du XIVe siècle, alors qu’il a été inventé au XVIIIe siècle (c’est le tartan qui a été inventé plus tôt).

La méta-mémoire nous aide à contrôler notre mémoire
Nous disposons d’un système cognitif élaboré, la méta-mémoire, dont le rôle est double : d’une part, elle nous permet de savoir comment apprendre (selon les stratégies personnelles les plus efficaces), d’autre part, elle sait en gros ce que nous savons et ce que nous ignorons. Sans la méta-mémoire nous chercherions inutilement, et au prix de gros efforts, une information inexistante dans nos stocks mnésiques.
Ce système repose sans doute sur une approche probabiliste : si je vous posais la question « Quel est mon numéro d’immatriculation ? », vous répondriez instantanément « Je ne sais pas ! » sans avoir passé en revue vos milliards de traces mnésiques, car vos systèmes cognitifs estimeraient qu’en l’état actuel, il vous serait impossible de connaître le numéro d’immatriculation de la voiture du Dr Bernard Croisile. L’utilité d’un tel système est claire, il vous évite une recherche inutile et coûteuse. Un tel système existe puisqu’à la suite de lésions cérébrales, des patients partent parfois à la recherche mentale de la réponse à cette question, comme je l’ai déjà observé.
A la question « Abraham Lincoln était-il démocrate ou républicain ? », 98% des personnes interrogées ont répondu « Démocrate » ; manifestement, elles ne savaient pas la réponse puisqu’elles se sont trompées (la réponse est « Républicain ») et que jamais un historien sérieux n’a pu affirmer une telle chose, or, la prudence la plus élémentaire aurait dû leur intimer de répondre « Je ne sais pas ! ». En fait, admettre notre ignorance semble incompatible avec l’estime de nous-même. Mieux vaut tenter une réponse plutôt qu’admettre son incompétence.

Comment de faux savoirs peuvent-ils s’installer ?
Face à une question dont nous ne savons pas la réponse, notre système cognitif, sans doute influencé par notre système psychique, nous souffle de trouver une réponse potentielle par un mécanisme proche de celui des inférences. En linguistique, l’inférence est un phénomène par lequel une personne ajoute une information, supposée vraie ou plausible, à partir des informations dont elle dispose. Sur l’échiquier politique américain actuel, les républicains étant situés plus à droite que les démocrates, il est inconcevable pour un homme du XXIe siècle que les républicains aient été à l’origine de l’émancipation des esclaves. Face à l’inconnu, nous osons avec témérité plutôt que de nous abstenir avec prudence.
Il est possible qu’un phénomène comparable explique la création (pour leur diffusion d’autres explications sont à envisager) d’une Fake News. Les réseaux sociaux permettent à tout le monde de s’exprimer alors qu’autrefois seuls ceux reconnus comme détenteurs d’un savoir pouvaient le communiquer, par des réseaux par ailleurs beaucoup plus sélectifs : la presse écrite, les maisons d’éditions. Lorsque j’ai exprimé le souhait de publier un livre d’histoire, un de mes éditeurs m’a répondu que je n’avais pas la légitimité académique pour justifier sa publication ; en revanche, les moyens actuels me permettent sans difficulté de répandre mon propos sans aucun filtre éditorial.
Depuis l’incendie de Notre-Dame, je suis surpris de voir plusieurs cabinets d’architectes réputés et a priori compétents proposer de reconstruire une toiture en verre, afin disent-ils d’inonder de lumière la nef de la cathédrale, en oubliant totalement (ce qui montre leur inculture totale du bâtiment) que la nef est couverte par une voute en pierre, et qu’une nouvelle toiture en verre ne permettra pas à la lumière d’illuminer une nef qui comporte un toit qu’on ne peut supprimer puisque cette voute participe à l’équilibre global de la cathédrale. Personne n’a émis la moindre surprise face à de tels projets.
Face à l’afflux de fausses informations, face aux affirmations péremptoires des incompétents, il semble que le public ait aussi perdu ce qui me semble le plus important, le « bon sens ». Le problème n’est plus de savoir s’il y a un pilote dans l’avion, mais plutôt de l’intelligence dans le système !


Pour en savoir plus
https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/cetait-mieux-avant-les-connaissances-historiques-des-conscrits-de-1870/
Bernard Croisile. Tout sur la mémoire. Éditions Odile Jacob (2009)

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