Comment se forment les souvenirs ?

La Guerre des Fantômes : le temps efface, modifie, remodèle…
En 1932, dans son livre Remembering (1932), le psychologue britannique Frederic Bartlett (1886-1969) a demandé à des étudiants de Cambridge d’apprendre une histoire tirée d’une légende amérindienne puis de la rappeler régulièrement. Au fil du temps, Bartlett a noté que l’histoire finale différait sensiblement de l’histoire initiale : les transcriptions devenaient moins précises, elles comportaient des oublis, ou bien des éléments nouveaux étaient introduits, ou alors des détails mineurs acquéraient une importance démesurée. Très nettement, des connaissances antérieures des étudiants, liées à leur culture anglaise, comblaient des passages ambigus ou oubliés du récit amérindien initial. Par exemple, le mot canoë était remplacé par le mot bateau. Bartlett en conclut qu’un souvenir n’était pas rappelé par cœur mais reconstruit lors de chaque évocation, cette reconstitution subissant l’influence de notre culture, de nos schémas de pensée, de nos opinions du moment, de nos attentes.
Ces constatations s’accordaient parfaitement à ce que le psychologue canadien Donald Hebb (1904-1985) découvrit par la suite du fonctionnement cérébral reposant sur l’activation simultanée ou séquentielle de neurones réunis au sein de réseaux. Cette distribution du fonctionnement neuronal protège les informations en dispersant leurs traits constitutifs.
En pratique
Lorsque nous vivons un épisode de notre vie, la scène vécue envoie à notre cerveau une quantité d’informations de toute nature : bien sûr des informations sensorielles (les traits visuels, auditifs, tactiles, gustatifs et olfactifs du souvenir), mais aussi des informations temporelles (c’est à tel moment) et spatiales (c’est en tel lieu). Plusieurs régions du cerveau sont activées afin de reconnaitre les différents traits de la scène, puis ces informations convergent vers les hippocampes (les régions du cerveau qui retiennent les informations sensorielles du monde extérieur) ou les amygdales temporales (les régions du cerveau qui analysent et retiennent les informations du monde intérieur – émotions et sentiments). De là partent deux circuits de mémorisation qui comparent, organisent et classent les informations, puis elles enregistrent cette activation synchrone.
Les traces des différents traits de la scène vécue sont ensuite stockées dans les régions cérébrales initialement activées. Les hippocampes garderont la trace de la carte neuronale spatio-temporelle, c’est-à-dire le souvenir du lien entre les différents motifs d’activités neuronales correspondant au souvenir vécu. Quelques années plus tard, c’est le lobe frontal qui conservera le lien entre les informations.
Toutes les informations constitutives du souvenir, qu’elles soient sensorielles ou autres, sont ainsi synchronisées au niveau des hippocampes puis des lobes frontaux. Un souvenir est donc une sorte de toile d’araignée (appelée carte neuronale par les chercheurs) reliant les réseaux neuronaux activés de manière synchrone lorsque l’épisode a été vécu. Bien évidemment, la composante émotionnelle du souvenir est intégrée dans cette carte au moyen d’autres régions cérébrales.
Se rappeler un souvenir, ce n’est donc pas retrouver un livre, ce n’est pas sortir le livre de son rayonnage et le parcourir pour « lire » le souvenir, c’est en fait le reconstituer en récupérant le maximum de pages. La carte neuronale sera réactivée chaque fois qu’on évoquera ce souvenir, c’est-à-dire que le plus grand nombre possible de circuits neuronaux disséminés dans le cerveau sera réactivé pour reconstruire un souvenir temporaire. Selon le moment, ce souvenir reconstruit comportera ou pas certains éléments, car sa reconstitution est influencée par la personnalité de la personne, ses objectifs au présent et ses perspectives futures
Quelles conséquences ?
La dispersion des éléments constitutifs d’un souvenir explique un certain nombre de points :
Pour résumer :
Source : Bernard Croisile. Tout sur la mémoire. Éditions Odile Jacob (2009).