La "bosse des maths" ne se trouve-t-elle pas dans le cerveau ?

Les origines des capacités humaines pour les mathématiques sont débattues encore aujourd’hui. Certaines théories suggèrent qu’elles sont fondées sur des circuits cérébraux anciens (initialement impliqués dans l’espace et le nombre) ; d’autres qu’elles sont liées à ceux impliqués dans le traitement du langage. Pour déterminer l’origine des aptitudes en mathématiques (supérieures) et les systèmes cérébraux qui les sous-tendent, M. Amalric et S. Dehaene, chercheurs en neuro-imagerie cognitive à l’Unité Inserm-CEA (France), ont enregistré grâce à l’IRM fonctionnelle l’activité du cerveau de 15 mathématiciens experts (hommes et femmes, âgés en moyenne de 29 ans) et celle de 15 personnes aux niveaux d’études similaires (mais non expertes en mathématiques). Les participants ont réalisé une tâche de jugement d’énoncé. Il s’est agi concrètement pour eux d’écouter 72 propositions mathématiques compliquées (réparties de manière égale entre l’algèbre, l’analyse, la géométrie et la topologie) et 18 déclarations complexes non mathématiques (historiques dans la plupart des cas). Ils ont eu 4 secondes pour réfléchir sur chaque proposition et déterminer si elle était vraie, fausse ou dénuée de sens. Exemples de phrases complexes : « tout compact convexe d’un espace euclidien est l’intersection d’une famille de boules fermées » (mathématiques) ou « dans l’Antiquité, en Grèce, un citoyen ne payant pas ses dettes devenait un esclave » (non mathématiques).
Les résultats de cette étude montrent que lorsque les sujets réfléchissent aux propositions non mathématiques, les aires associées au langage et à sa compréhension s’activent. Et à ce niveau, tous jugent correctement les deux tiers des phrases. En revanche, quand il s’agit d’analyser les énoncés mathématiques, les chercheurs ont remarqué que les régions correspondant aux nombres, aux calculs et aux représentations dans l’espace ne s’activaient que chez les mathématiciens professionnels. Ces derniers donnent un avis correct dans 65% des cas, contre 37% chez les non experts. Cela démontre que le raisonnement mathématique de haut niveau repose sur un ensemble de zones du cerveau qui ne se chevauchent pas avec les régions de l’hémisphère gauche, classiquement impliquées dans le traitement du langage. Tous les domaines mathématiques testés activent un réseau bilatéral incluant le cortex préfrontal, les sillons intra-pariétaux, ainsi que les aires temporales inférieures.
Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que des recherches antérieures ont montré que ces zones (non linguistiques) sont actives quand nous effectuons un calcul arithmétique simple (dès 5-6 ans même). Selon M. Amalric, les résultats indiquent que « la réflexion mathématique de haut niveau recycle les régions du cerveau associées à une ancienne connaissance du nombre et de l’espace. ». Cela peut également expliquer pourquoi ces connaissances de base (la « bosse des maths » que nous avons tous en nous finalement), au cours de la petite enfance, prédisent la réussite mathématique. Reste que cette connexion entre ce « sens du nombre » de base et des compétences mathématiques de niveau supérieur demeure encore inconnue.
Source : M. Amalric et S. Dehaene, Origins of the brain networks for advanced mathematics in expert mathematicians, PNAS, 11-04-2016.