Les abeilles comprennent-elles le " zéro " ?

Selon les auteurs de l’étude, le « zéro » est une compétence mathématique qui n’est pas aisément compréhensible. Ils rappellent d’ailleurs qu’il faut quelques années d’apprentissage aux enfants pour le maîtriser. En effet, le « vide » n’est pas naturellement associé à un concept mathématique ; il faut donc comprendre que ce « rien » représente une quantité pour l’assimiler à un chiffre avec un symbole défini. Chez les animaux, des recherches ont montré que des singes et des oiseaux étaient également capables de comprendre ce « zéro », mais pas encore chez les insectes. C’est dorénavant chose faite avec cette étude menée à l’Institut Royal de Technologie de l’Université de Melbourne (Australie) et au Laboratoire CNRS de l’Université de Toulouse III (France).
Des études antérieures ont déjà montré que les abeilles savent compter jusqu’à cinq. De plus, comme le rappelle Aurore Avarguès-Weber, co-auteure de l’étude, elles possèdent de très fortes capacités mémorielles et ont également développé deux systèmes d’apprentissage : l’un par l’expérience (elles se souviennent de leurs erreurs) et l’autre par l’interaction (elles interagissent entre elles pour transmettre des connaissances via leur fameuse danse). La chercheuse au Centre de Recherche sur la cognition animale précise qu’il est relativement facile de proposer aux abeilles des exercices mathématiques (avec une récompense culinaire à la clef), parce que ce sont des animaux très joueurs.
Afin de déterminer si les abeilles étaient capables de comprendre le « zéro », les scientifiques leur ont tout simplement demandé si pour elles « 0 » était plus petit que « 1 ». Voyons comment cela s’est traduit sur le plan expérimental. Tout d’abord, les abeilles ont été entraînées à la notion de « plus petit que » et de « plus grand que ». Pour ce faire, les chercheurs ont mis au point un dispositif expérimental pour élaborer une tâche de comparaison analogique : les insectes devaient choisir entre deux images (cartes), celle où il y avait le moins d’éléments (des ronds noirs). Une bonne réponse leur apportait une récompense, de l’eau sucrée. En cas de mauvaise réponse, les insectes se retrouvaient devant une solution amère de quinine. Ainsi, les scientifiques ont appris aux abeilles à comparer deux ensembles de nombres représentés par des points.
Une fois le principe du « jeu » intégré, les chercheurs ont proposé en comparaison une carte vide et une carte avec plusieurs points. Dans 80% des cas, les abeilles se sont dirigées vers la première, ce qui prouve qu’elles ont compris que le « vide » était plus petit que le 5, 4, 3, 2, 1 et qu’elles ont ainsi assimilé le concept de zéro, en lui assignant une valeur numérique. A noter que plus l’écart entre les carte était grand, moins elles ont fait d’erreurs. Scarlett Howard précise ainsi que : « quand nous leur avons montré 0 vs 6, elles ont obtenu des résultats beaucoup plus élevés que 0 vs 1. Cela nous dit qu’elles considèrent le zéro comme une quantité réelle le long de la ligne numérique. Elles sont meilleures à faire 0 vs 6, parce que ces deux chiffres sont plus éloignés l’un de l’autre. »
Pour conclure, le fait que les abeilles puissent appréhender le concept de zéro avec un cerveau de moins d’un million de neurones [ndlr : 100 000 fois moins que l’Homme] pourrait donner des pistes intéressantes aux ingénieurs en Intelligence Artificielle pour concevoir des « machines » plus efficaces et plus rapides.
Source : Scarlett R. Howard, Aurore Avarguès-Weber, Jair Garcia, Andrew Greentree, Adrian G. Dyer, « Bees extrapolate ordered relations to place numerosity zero on a numerical continuum », in Science, juin 2018