« L’œuvre se situe dans l’œil de celui qui regarde », disait Marcel Duchamp. Ce peintre et plasticien normand ne croyait pas si bien dire… Imaginons que vous deviez regarder son célèbre ready made, Fontaine, dans une longue vue. Vous le feriez avec quel œil ? Exceptés les ambidextres, chacun d’entre nous est droitier ou gaucher. Or, cette latéralité ne concerne pas seulement nos mains et nos pieds, mais aussi nos yeux. Pourquoi avons-nous un œil dominant ?

A moins que vous ne pratiquiez le tir à l’arc ou un autre sport de précision ou bien que vous ayez eu besoin de regarder par le trou d’une serrure, il est peu probable que vous connaissiez votre préférence oculaire. Pourtant si vous sollicitez davantage votre main droite et votre pied droit dans vos diverses activités, il en est de même pour votre œil droit ou gauche… En effet, l’un est dominant par rapport à l’autre. Ce fait est notable si vous regardez instinctivement dans un microscope, un télescope ou autre viseur.

En 2015, des chercheurs du Groupe d’imagerie neurofonctionnelle de Bordeaux (GIN), ont pu observer, grâce à l’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) que la zone du cortex visuel correspondant à l’œil dominant était plus étendue. Leur étude a par ailleurs contribué à mieux comprendre le rôle des symétries du cerveau quant à la spécialisation hémisphérique. Celle-ci désigne le fait que : « certaines fonctions cognitives sont hébergées préférentiellement par un hémisphère cérébral », explique Emmanuel Mellet, chercheur au GIN. « Il est, par exemple, classique d’attribuer à l’hémisphère gauche un rôle privilégié dans les fonctions langagières tandis que l’hémisphère droit est impliqué dans les fonctions qui mobilisent l’attention spatiale. »

Spontanément, nous utilisons ainsi un œil plutôt qu’un autre ; l’œil droit étant le dominant pour les deux tiers des personnes. Par conséquent, distinguer ordinairement les droitiers des gauchers uniquement selon leur préférence manuelle semble quelque peu insuffisant. Plus précisément, ce qui nous caractérise est une combinaison de latéralité (œil-main-pied), qui est soit homogène (toute à droite ou toute à gauche), soit croisée (je peux être droitier de la main et du pied mais gaucher de l’œil). C’est pourquoi la dominance oculaire présente un intérêt dans les études sur la latéralité. Par exemple, l’équipe du GIN a pu constater que les « gauchers », tout particulièrement ceux qui ont l’œil droit dominant, présentent une latéralisation à droite plus marquée. Puisque c’est dans l’hémisphère droit du cerveau que les circuits dédiés à l’attention spatiale et aux saccades oculaires s’activent, on comprend mieux pourquoi, être « gaucher » au tennis ou en boxe peut représenter un avantage (face à un droitier).

Pour finir, sachez que les tests proposés pour déterminer votre œil dominant sont généralement dévolus à la vision de loin (statique), alors que la vision de près et dynamique mérite elle-aussi d’être évaluée. De manière concrète, lorsque vous avez lu cet article, quel œil a davantage conduit votre lecture comme une locomotive ?