Où se loge notre esprit ?

Antonio Damasio est convaincu que l’esprit n’est pas purement cérébral, mais aussi corporel, parce qu’il « n’est pas le produit du seul cerveau mais bien de son interaction avec le corps ». Un exemple chiffré (parmi d’autres) à l’appui : mettez bout à bout l’ensemble des artérioles qui alimentent en sang nos neurones, vous obtenez un chemin long de 650 kilomètres ! Selon le neuroscientifique, notre cerveau serait l’aboutissement des évolutions du système nerveux, dont les premiers embryons datent d’environ 500 millions d’années. Avant de devenir le coordinateur général au service de notre corps, les premiers réseaux de filets nerveux assuraient une fonction de perception élémentaire de l’environnement immédiat ou d’assimilation alimentaire dans le tube digestif. Ainsi, notre intestin, dont on dit souvent qu’il est notre deuxième cerveau, serait en fait le premier à être apparu. Selon A. Damasio : « Ce rappel des origines permet de remettre les choses dans l'ordre : le système nerveux et le cerveau auquel il a abouti sont d'abord et avant tout des serviteurs du corps, pendant longtemps ils n'ont pas été là pour « penser » - fonction à laquelle on les résume trop rapidement aujourd'hui. »
Dans ce cadre de réflexion, les sentiments doivent alors être envisagés comme des « perceptions mentales de l’état interne du corps et des émotions qui le modifient en permanence. » Celles-ci, chacun de nous a pu les expérimenter physiquement à diverses occasions, comme par exemple la peur qui fait que notre visage se contracte, que notre rythme cardiaque s’accélère, etc. A l’inverse, les sentiments (plus tardifs) sont un phénomène exclusivement mental ; et n’apparaissent donc que chez les espèces les plus évoluées. A. Damasio en fait les principaux auxiliaires de l’homéostasie, c’est-à-dire « l’ensemble des processus vitaux permettant à un organisme d’œuvrer à son autoconservation ». En ce sens, les sentiments apportent à tout moment une information ; ils rapportent l’état de la vie à l’intérieur de notre organisme. Un mal être ou une souffrance doivent donc être considérés comme des avertisseurs que quelque chose dysfonctionne.
Le cerveau et le corps produisent donc conjointement ce qu’on appelle l’esprit. Par conséquent, si l’on veut localiser « matériellement » la conscience, il ne faut pas se focaliser uniquement sur « le sommet de la pyramide » (le cortex), mais aussi (et surtout) sur « sa base qui s’enracine dans le corps » (le cervelet, le tronc cérébral, l’hypothalamus, la moelle épinière, etc.). D’où le scepticisme affirmé du neuroscientifique envers ce qu’on appelle l’ « Intelligence Artificielle forte ». Selon lui, elle n’est pas prête de supplanter l’esprit humain, puisque une conscience suppose des sentiments et un corps vivant régit par l’homéostasie, ce que les robots n’ont pas.
Pas encore ?
Source : Antonio Damasio : « Je ne crois pas à des ordinateurs doués de conscience », interview de Yann Verdo pour Les Echos.fr, 01-12-2017.