Peut-on deviner ce qu'une personne perçoit mentalement ?

Selon Dan Nemrodov, co-auteur de l’article publié dans eNeuro : « Quand nous voyons quelque chose, notre cerveau crée un percept mental, qui est essentiellement une impression mentale de cette chose. Nous avons pu capturer ce percept en utilisant l’EEG pour obtenir une illustration directe de ce qui se passe dans le cerveau pendant ce processus. »
En général, deux méthodes s’offrent aux neuroscientifiques qui ont pour objet d’étude la lecture des images mentales. Mesurer l’activité cérébrale peut se faire soit par l’EEG (électroencéphalographie), grâce à des électrodes, soit par l’IRMF (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) en détectant les changements du flux sanguin dans les différentes parties du cerveau. Par le passé, en utilisant cette deuxième technique, Adrian Nestor (membre de l’équipe de recherche) était déjà parvenu à reconstruire des images de visages à partir des pensées d’une personne. Mais pour cette nouvelle étude, c’est en s’appuyant sur la première technique, qu’il a réussi à reproduire cet exploit. C’est par souci de précision que les chercheurs ont souhaité utiliser l’EEG. En effet, elle permet d’enregistrer l’activité cérébrale non pas à l’échelle des secondes (comme l’IRMf), mais des millisecondes. De manière pratique, cela signifie qu’il est alors possible d’observer très finement comment la perception ou le percept d’un visage se développe dans notre cerveau.
Les neuroscientifiques ont donc convié des participants reliés à un appareil EEG pour leur montrer des images de visages sur un écran d’ordinateur. Grâce à des algorithmes, les enregistrements des ondes cérébrales des différents individus ont pu être traités, ce qui a rendu possible la recréation numérique des visages que les participants venaient de découvrir. Cette expérience a permis de déterminer que notre cerveau n’avait besoin que d’environ 0.17 secondes pour créer une bonne représentation (image mentale) du visage que nous voyons.
Cette première démonstration de la capacité à reconstruire un visage perçu à partir des données EEG représente, selon les auteurs : « un grand potentiel théorique et pratique d’un point de vue neurotechnologique ». En effet, pouvoir matérialiser ce qu’un individu vient de percevoir n’est sans doute que le début, puisque les chercheurs vont maintenant s’employer à tester ce procédé à partir de ce dont un individu se souvient et imagine ! Sans compter que cette découverte pourrait représenter un moyen de communication pour des personnes privées de parole et de mouvements. Du reste, cela pourrait également faciliter le travail des enquêteurs pour élaborer un portrait-robot. Imaginez qu’en plus de s’appuyer sur les descriptions verbales du témoin, un EEG de son cerveau permette de visualiser le visage qu’il a en tête ? Vous y voyez l’intérêt ? Mais aussi le danger…
De fait, cette possibilité de lire dans nos pensées a un côté quelque peu effrayant et d’ailleurs, les chercheurs n’oublient pas de préciser que tout ce potentiel neurotechnologique devra, le temps venu, être très encadré.
Source : Dan Nemrodov, Matthias Niemeir, Ashutosh Patel et Adrian Nestor, « The Neural Dynamics of Facial Identity Processing : insights from EEG-Based Pattern Analysis and Image Reconstruction », in eNeuro, janv. 2018