Peut-on faire correctement deux choses à la fois ?

Selon le contexte, nous choisissons en permanence ce sur quoi nous voulons focaliser notre attention. Si un consensus sur le rôle du cortex préfrontal et du thalamus dans cette sélection attentionnelle était établi, il restait à prouver. C'est à présent chose faite avec cette étude (publiée dans la revue Nature) menée par une équipe de chercheurs de l'Institut de Neurosciences de l'Université de New-York. Les scientifiques ont réussi à créer, chez la souris, une tâche qui l'oblige à sélectionner intentionnellement son attention. Les circuits sous-jacents à ce processus ont ainsi pu être analysés. Description de cette expérience incroyable.
Premièrement, prenez des souris génétiquement modifiées pour passer des tests d'optogénétique. Ce nouveau domaine de recherche permet de rendre des neurones sensibles à la lumière et de les activer par stimulation lumineuse. On peut alors, chez ces souris, choisir d'"allumer" ou d’"éteindre" certains circuits cérébraux. Deuxièmement, à l'aide de sons binauraux (sons qui apparaissent dans le cerveau en raison d'un stimulus physique), entraînez-la à attendre une récompense (du lait). Pour ce faire, deux modalités : la souris est conditionnée (on lui fait écouter un son "bleu" de 11 KHz) à attendre un signal sonore et est distraite par un flash lumineux ; ou bien la souris est conditionnée (on lui fait écouter un son "marron" de 10 KHz) à attendre un signal visuel et est distraite par un son. Dans ces deux cas, la souris doit sélectionner l'entrée sensorielle appropriée et ignorer l'entrée parasite. Les chercheurs ont alors pu perturber volontairement, par optogénétique, le cortex préfrontal (CPF) pour mieux mettre en avant son rôle dans la sélection des stimuli visuels et auditifs. L'activité électrique a été mesurée dans cette zone du cerveau, mais aussi dans une zone bien précise du thalamus, le noyau réticulé thalamique (NRT). Quels sont les résultats de cette expérience ?
Tout d'abord, quand la souris doit prendre en compte le son et ignorer la lumière pour avoir sa récompense, les neurones du NRT qui contrôlent l'ouïe sont plus actifs que ceux qui contrôlent la vision. Dans le cas contraire, lorsqu'il s'agit pour la souris de focaliser son attention non pas sur le son mais sur la lumière, les neurones du NRT contrôlant la vision sont plus actifs. Ensuite, en se servant de l'optogénétique, pour "allumer" ou "éteindre" les zones cérébrales étudiées, les chercheurs ont pu déterminer le déroulement du mécanisme qui permet à la fois l'attention (focalisation sur le bon stimulus perceptif visuel/sonore) et l'inhibition (neutralisation du stimulus non pertinent). En effet, lorsqu'ils ont perturbé (éteint) le CPF, la capacité des souris à sélectionner de manière appropriée les stimuli contradictoires visuel / auditif a été diminuée.
Prenons le cas où la souris vient d'entendre un bruit "bleu". Elle "sait" alors que si elle veut sa dose de lait, il va falloir qu'elle se concentre sur le son et non sur le flash lumineux. Que se passe-t-il dans son cerveau ? Le cortex préfrontal donne l'ordre au noyau réticulé thalamique de sélectionner l'information sonore. Puis le NRT, en tant que centre commutateur, contrôle l'attention en activant, de manière anticipée, les neurones qui contrôlent l'ouïe et en "désactivant" ceux qui contrôlent la vue.
Enfin, cette recherche confirme qu'il ne nous est pas possible de faire correctement deux choses à la fois, dans la mesure où "l'anticipation d'une tâche à venir perturbe la performance de celle en cours." Mais si l'homme moderne est voué à être de plus en plus "attentif" à des entrées sensorielles quasi-simultanées, notre NRT ne va-t-il pas saturer ?
Source : Ralf D. Wimmer, L. Ian Schmitt1, Thomas J. Davidson, Miho Nakajima1, Karl Deisseroth & Michael M. Halassa : Thalamic control of sensory selection in divided attention