Quelle est la blague idéale ?

En tant qu’être humain, nous avons la capacité de comprendre ce que les autres pensent ; c’est ce qu’on appelle la « théorie de l’esprit ». Dans une communication ordinaire, nous sommes ainsi engagés dans un processus de compréhension réciproque des intentions de l’autre. Prêter attention aux états mentaux, aux émotions d’autrui, les mentaliser, est une activité cognitive exigeante et limitée d’un point de vue quantitatif. Cette capacité se décline de manière récursive pour former une chaîne de « mentalisation de l’intentionnalité », où nous pouvons monter jusqu’au septième niveau. De manière concrète mais casse-tête, cela donnerait :
1. Ma femme s’imagine que … 2. Je crois que ma femme s’imagine que … 3. Pierre pense que je crois que ma femme s’imagine que … 4. et ainsi de suite jusqu’au 7ème niveau !
On comprend aisément que la limite maximale est donc à prendre en compte dans l’élaboration d’une plaisanterie. Or une histoire drôle peut mettre en scène plusieurs personnages ce qui en fait ainsi autant d’histoires qui risquent d’égarer votre auditoire. D’où cette question : à quel niveau sur l’échelle de « mentalisation de l’intentionnalité » la blague est-elle la plus efficace ?
Pour répondre à cette question, Dunbar et son équipe ont fait évaluer par un panel plusieurs blagues regroupées sur un site internet (les 100 blagues les plus drôles de tous les temps), puis par 55 étudiants qui devaient les noter sur une échelle de 1 (pas drôle du tout) à 4 (très drôle). Les chercheurs ont alors déterminé le « niveau d’intentionnalité » des blagues, c’est-à-dire le nombre d’états d’esprits imbriqués (nombre qui est dépendant du nombre de personnages). La plupart d’entre elles impliquent trois ou cinq ordres d’intentionnalité. Les psychologues ont ensuite déterminé qu’il existait une corrélation positive entre les niveaux croissants de l’intentionnalité et les évaluations subjectives de la drôlerie des blagues. Celles qui ont été désignées comme étant les plus amusantes comprennent cinq ou six niveaux d’intentionnalité ; ce qui correspond à des histoires mettant en scène deux personnages maximum. Au-delà de cette limite, la qualité de la blague diminue à mesure que le nombre de personnages augmente.
Certes, d’autres paramètres entrent certainement en jeu pour juger de la qualité d’une blague (des plus simples ou plus complexes pouvant évidemment être très drôles), mais si vous vous lancez dans l’humour, on vous aura au moins livré une astuce pour éviter de « faire un bide » !
Source : I. M. Dunbar et al., The complexity of jokes is limited by cognitive constraints on mentalizing, Human Nature, nov. 2015.