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Nous avons la mémoire courte…

Le Billet du Neurologue, Dr Bernard CROISILE

Ce billet s’adresse aux seniors, et je vous laisse placer où vous voulez le curseur de l’âge. On dit qu’une génération efface tout. C’est vrai. Si la grippe espagnole de 1918, responsable de 240 000 morts en France, c’est-à-dire beaucoup moins que nos 3 millions de pertes liées à la Première guerre mondiale, est assez connue car ses 50 à 100 millions de morts pour l’ensemble de l’humanité, ont frappé notre mémoire collective, en revanche, bien qu’elles soient plus proches de nous, peu se souviennent de la grippe asiatique de 1957 (50 000 à 100 000 morts en France), ni de celle de Hong Kong en 1969 (17 à 40 000 morts) pour une population française moins importante qu’en 2020. Des pandémies nous ont déjà frappés et nous les avons oubliées. On ne se contente pas d’oublier ce qu’on a fait le 13 février 2015 à 11h30, on oublie aussi des évènements collectifs voire des personnes célèbres comme le raconte Boris Johnson dans sa biographie de Churchill, qui, pour un vendeur de Duty Free du Moyen-Orient, était uniquement « un vieux dirigeant. »

Grèves et Contrôle des changes
Les britanniques de voyage en France ne cessent de se plaindre des grèves perpétuelles qui agitent notre pays mais semblent avoir oublié leurs propres conflits sociaux de 1973. En lisant le livre très drôle de Bill Bryson, Des Corneflakes dans le porridge, un américain chez les anglais, je suis tombé sur quelques lignes concernant le Royaume-Uni : « Avant la fin de l’année (1973), l’essence serait rationnée et des files d’attente interminables s’étireraient… L’inflation atteindrait 28 pour cent. Il y aurait de graves pénuries, notamment de papier hygiénique, de sucre, d’électricité et de charbon… La moitié du pays serait en grève et l’autre moitié travaillerait trois jours par semaine. » Bill Bryson rapporte aussi quelques manchettes de l’époque : « 2 000 fonctionnaires en grève. Pas d’édition du Daily Mirror à Londres. 10 000 licenciements après le débrayage chez Chrysler. Grève des profs : 12 000 élèves en congé. » Bref, nos voisins d’outre-Manche nous reprochent nos grèves, mais des mouvements sociaux de grande ampleur les ont bien perturbés sous le gouvernement conservateur d’Edward Heath. Vous me direz que ceci se passait au Royaume-Uni, et il y a longtemps, pourtant, plus près de nous, nombre de français qui l’ont vécu ont oublié le Contrôle des changes instauré en 1983-1984 par Jacques Delors, ministre des finances du gouvernement socialiste de Pierre Maurois sous François Mitterrand. L’objectif était de rétablir le déficit du Commerce extérieur en limitant à 2 000 francs par an les dépenses des Français lors de leurs vacances à l’étranger. Quand j’évoque cette mesure lors de mes conférences sur la mémoire, seuls 10% des assistants s’en rappellent, les autres étant même incrédules.

Que de livres brûlés et censurés !
Notre mémoire collective est fragile parce que les bibliothèques brûlent ou sont détruites, parce que l’on réduit les programmes scolaires, que l’on occulte ou falsifie les faits pour complaire aux minorités. Autrefois, les noms des pharaons maudits ou des empereurs dégénérés étaient effacés des temples égyptiens ou des édifices romains. De l’immense production littéraire, poétique, historique, juridique de l’antiquité gréco-romaine, il ne nous reste qu’environ 0,1% des ouvrages, nombre de bibliothèques publiques ou privées ayant été détruites par les invasions barbares, les décisions politiques ou les excès religieux. Notre compréhension du Monde en est altérée. Fahrenheit 451 (il s’agit de la température d’inflammation du papier), le terrifiant film de François Truffaut tiré du livre de Ray Bradbury, montre une société futuriste caractérisée par la disparition des valeurs humaines (au profit d’un bonheur artificiel) et l’installation d’une culture de masse en raison du nivellement par le bas du système éducatif. Les brigades de pompiers sont chargées de conforter l’emprise du gouvernement sur les citoyens en brûlant systématiquement les livres dont la lecture empêcherait les hommes d’être heureux. Seuls subsistent quelques groupuscules secrets de personnes apprenant par cœur le contenu des livres comme les bardes et les aèdes d’autrefois.

La mémoire collective
La notion de mémoire collective découle des travaux de Maurice Halbwachs (1877-1945), Les Cadres sociaux de la mémoire (1925) et La Mémoire collective (1950). Selon les chercheurs, soit les membres d’un groupe donné partagent une représentation commune du passé, soit ce groupe aurait une mémoire en lui-même, au-delà de la mémoire de ses membres. Pour Frederic Bartlett (1886-1969), la mémoire n’est pas une simple réminiscence « à l’identique » des souvenirs vécus ou des informations mémorisées, elle est très influencée par le contexte social : en effet, la récupération d’un fait repose sur un processus de reconstruction du souvenir dont les traits constitutifs sont modulés par notre propre expérience ainsi que les éléments culturels et sociologiques de notre environnement de vie. Notre environnement façonne notre réminiscence. Ce qui est intéressant dans le cas du Contrôle des changes en 1983, c’est que cette mesure est niée par les personnes parce qu’il leur semble impossible qu’un gouvernement socialiste ait pu restreindre la liberté de circulation des individus, en outre, il leur semble totalement illogique qu’on puisse imaginer rétablir le déficit de notre déficit extérieur en empêchant les français de dépenser à l’étranger, d’autres mesures industrielles ou économiques leur semblant plus judicieuses. Ceci est en accord avec la théorie de Bartlett selon laquelle nos idées préalables, nos informations préconçues, peuvent interférer avec la réalité d’un souvenir, voire empêcher d’accepter la réalité d’un fait. La « réalité » est manipulée par nos pensées et notre personnalité. Nos croyances culturelles, politiques, sociologiques, nationales nous font réfuter la « réalité » qu’on nous enseigne.

Que restera-t-il ?
Oui, nous avons la mémoire courte, parce que les plus âgés oublient ce qui a été désagréable et que les plus jeunes ne peuvent admettre un passé discordant par rapport à leur mentalité actuelle ou leur profonde ignorance de l’Histoire. Une génération suffit pour effacer des personnes ou des évènements. Quels souvenirs de la pandémie aurons-nous dans 20 ans ? Trop tôt pour le dire puisqu’elle n’est pas finie. On peut imaginer que persistera le souvenir d’un choc sanitaire, émotionnel et économique, certes, mais pour combien de temps ? Que restera-t-il du Pr Raoult, de la querelle des masques, des erreurs des experts, des hésitations des politiques, de la violence des réseaux sociaux, des magasins vidés ? On en reparle en 2040 ?


Pour en savoir plus :
Ray Bradbury. Fahrenheit 451. Gallimard, 2000.
Bill Bryson. Des Corneflakes dans le porridge, un américain chez les anglais. Petite Bibliothèque Payot, 2017.

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